jeudi, avril 12, 2007

L'usage du monde

J'ai découvert l'an dernier l'écrivain-voyageur suisse Nicolas Bouvier avec Chronique Japonaise et ce fut un très agréable moment de lecture. L'usage du monde retrace son premier grand voyage , à l'âge de 23 ans, en compagnie du peintre Thierry Vernet. Un périple en voiture qui les mènera de Belgrade à Kaboul, en passant par la Macédoine, la Turquie, l'Azerbaidjan, l'Iran, le Pakistan, l'Afghanistan...

La même écriture très évocatrice , ici peut-être plus dense, entre journalisme et poésie, cet art de croquer sur le vif portrait sur portrait (hommes, peuples, villes, pays et paysages, atmosphères...), avec réalisme, humour et souvent tendresse.
Bouvier sait nous faire partager à merveille ses découvertes et éblouissements :

Mais il y a ici des platanes comme on n'en voit qu'en songe, immenses, chacun capable d'abriter plusieurs petits cafés où l'on passerait bien sa vie. Et surtout il y a le bleu. Il faut venir jusqu'ici pour découvrir le bleu. Dans les Balkans déjà, l'oeil s'y prépare; en Grèce il domine mais il fait l'important: un bleu agressif, remuant comme la mer, qui laisse encore percer l'affirmation, les projets, une sorte d'intransigeance. Tandis qu'ici! Les portes des boutiques, les licous des chevaux, les bijoux de quatre sous: partout cet inimitable bleu persan qui allège le coeur, qui tient l'Iran à bout de bras, qui s'est éclairé et patiné avec le temps comme s'éclaire la palette d'un grand peintre. Les yeux de lapis des statues akkadiennes, le bleu royal des palais parthes, l'émail plus clair de la poterie seldjoukide, celui des mosquées sefévides, et maintenant, ce bleu qui s'envole , à l'aise avec les ocres du sable, avec le vert poussiéreux des feuillages, avec la neige, avec la nuit.


Ce qui fascine dans les écrits de Bouvier est la lenteur et la richesse d'un périple aux antipodes de la vacuité du tourisme de masse, même lointain.
Le voyageur à la Bouvier, loin du confort et de la sécurité, fait sien le proverbe afghan:

Prendre son temps est le meilleur moyen de n'en pas perdre.


Il s'attarde plusieurs mois dans une ville (Belgrade, Tabriz, Téhéran,Quetta...), le temps d'y gagner de quoi poursuivre la route, réparer la voiture, mais surtout de s'imprégner de l'esprit des lieux et ainsi apprendre au contact de leurs habitants.
La plupart des populations rencontrées, en dépit (ou à cause) de la misère, de la maladie, des privations ou des troubles politiques, lui enseignent le "Carpe Diem", l'art de goûter le moment présent et ses petits bonheurs, profiter aussi intensément que possible de ces instants qui constituent la véritable "ossature de l'existence".
Le voyage, "l'usage du monde" est donc une leçon de vie, voire une nécessité vitale. C'est arrivé aux portes de l'Inde, face au panorama grandiose du Khyber Pass, que Nicolas Bouvier réalise sa pleine appartenance au monde en même temps que la fugacité d'une telle sensation:

Comme une eau, le monde nous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à cotoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.


Le périple se poursuivra à Ceylan ( raconté dans Le Poisson-Scorpion), puis au Japon...


L'usage du monde, Nicolas Bouvier, dessins de Thierry Vernet, 1964, Petite Bibliothèque Payot, 2001, 419 p.



Quelques extraits
Quelques photos
Sur les traces de Bouvier ?



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