jeudi, avril 28, 2005

Les Gens de la rue des Rêves

Elle porte un joli nom, cette petite rue commerçante d'Ōsaka, dans la shitamachi (littéralement: "ville basse", les quartiers populaires). Et pourtant, un des personnages de ce roman, Satomi Haruta, jeune poète célibataire, et démarcheur par nécessité, qui y vit, porte un regard bien critique sur ses voisins :


Levant les yeux vers l'enseigne lumineuse, Haruta se gratta nerveusement la tête en faisant la grimace. "Aux commerces de la rue des Rêves..." Ca, on pouvait bien dire, pensait-il à chaque fois qu'il passait par là en rentrant du travail, qu'aucun des commerçants ainsi désignés n'était digne d'un pareil nom! Le patron du Tarôken, le restaurant chinois? Un cinglé du turf qui ne cessait de se quereller avec sa femme. Celui du pachinko, le Palais des Rêves? Lui, il n'avait qu'un rêve, c'était d'entrer au Lion's club - alors, il avait fait imprimer tous ses titres sur sa carte de visite[...]. Les Murata, le couple d'horlogers? Quand vous entriez dans leur boutique, ils vous jetaient des regards de rapaces et ne vous lâchaient pas avant de vous avoir fait acheter quelque chose, comme si tout dans la vie se résumait à faire de l'argent. Quant au jeune photographe, le bruit courait qu'il était homosexuel. La tenancière du bar La Charade, elle, n'employait que de beaux serveurs bien plus jeunes qu'elle, pour les mettre, mais jamais plus de trois mois, dans son lit. Les deux frères de la boucherie, enfin, avaient autrefois appartenu à la pègre. Inutile de chercher à en faire la liste, la rue des Rêves n'était faite que de gens chez qui une bizarrerie pouvait toujours en cacher une autre.


C'est que dans cette communauté presque villageoise les rumeurs vont bon train, les cloisons minces isolent peu et les disputes se terminent souvent dans la rue, sous les moqueries parfois cruelles des spectateurs. Mais il faut aller chercher derrière les apparences (un tatouage devenu gênant, un épais maquillage/camouflage , une réputation) pour découvrir qui sont vraiment les "gens de la rue des Rêves". C'est ce que fait Haruta, et nous avec lui, tout au long de ce roman dont chaque chapitre se focalise sur un des commerçants de la rue. Se trouvant mêlé plus ou moins involontairement à leurs vies , recueillant leurs confidences, il apprend à dépasser ses préjugés et à la fin du roman réalise pleinement l'importance des "relations "d'être humain à être humain" ".
Un roman humaniste donc qui parvient, avec réalisme mais tendresse, à rendre tous ses personnages (même les plus antipathiques) attachants, en nous faisant pénétrer au plus profond de leurs pensées et de leurs secrets, souvent douloureux. Et la rue des Rêves mérite son nom, car elle abrite bien tous leurs désirs, aspirations et regrets mêlés.
Cependant, les situations et les dialogues sont souvent comiques, car le décor est ici celui d'un Japon populaire, plein de vivacité, exubérant et blagueur, même si la traduction ne peut évidemment pas rendre le parler local. Dans sa préface, le traducteur Philippe Deniau fait le rapprochement avec le rakugo , "l'art des conteurs sur scène" (dont j'ignore à peu près tout).
Il nous apprend aussi qu'au Japon, ce type de roman constitué de chapitres-nouvelles est appelé "roman-omnibus", car pratique à lire dans les transports en communs, chaque partie pouvant se lire indépendamment, mais formant un tout indissociable. Un format qui ne peut que me plaire, la longue nouvelle - ou novella en anglais - étant mon genre préféré.
De Miyamoto Teru, j'ai aussi lu il y a quelques années La Rivière aux Lucioles , également un recueil de nouvelles , dont le magnifique "Fleuve de Boue" auquel je consacrerai un post un de ces jours.


en cours: The Lemon Table, Julian Barnes / Petits malentendus sans importance, Antonio Tabucchi.