jeudi, février 24, 2005

Next

Un nouveau nom pour ce blog, qui convient mieux au contenu. Il fait référence à une fascinante nouvelle de Miyazawa Kenji ( Place de Pollanno ).
On change complètement de sujet. Les textes des chansons de Brel sont de véritables petites nouvelles, leurs adaptations en anglais chantées par Scott Walker sont pas mal non plus:

Next

Naked as sin, an army towel
Covering my belly
Some of us blush, somehow
Knees turning to jelly
Next, next

I was still just a kid
There were a hundred like me
I followed a naked body
A naked body follwed me
next, next

I was still just a kid
When my innocence was lost
In a mobile army whorehouse
Gift from the army, free of cost
Next, next

Me, I really would have liked
A little touch of tenderness
Maybe a word, a smile
An hour of happiness
But, next, next

Oh, it wasn't so tragic
The high heavens did not fall
But how much of that time
I hated being there at all
Next, next Now I always will recall
The brothel truck, the flying flags
The queer lieutenant who slapped
Our asses as if we were fags
Next, ne xt

I swear on the wet head
Of my first case of gonorrhea
It is his ugly voice
That I forever hear
Next, next

That voice that stinks of whiskey
Of corpses and of mud
It is the voice of nations
It is the thick voice of blood
Next, next

And since the each woman
I have taken to bed
Seems to laugh in my arms
To whisper through my head
Next, next

All the naked and the dead
Should hold each other's hands
As they watch me scream at night
In a dream no one understands
Next, next

And when I am not screaming
In a voice grown dry and hollow
I stand on endless naked lines
Of the following and the followed
Next, next

One day I'll cut my legs off
Or burn myself alive
Anything, I'll do anything
To get out of line to survive
Never to be next
Never to be next.


(Brel/Shuman)

http://kouros.kapsi.fi/scott/?page=browse&bs=detailsArtist&saNameId=scottwalker

mardi, février 22, 2005

Mélange des temps

Dans la Grammaire Japonaise Systématique (t.1) de Reiko Shimamori, je lis:

Un étudiant confirmé en japonais peut s'étonner que, dans un texte qui parle d'une histoire révolue, on trouve autant de verbes à la forme du non-passé que ceux qui sont à la forme du passé. Le "mélange des temps" est chose courante en cette langue, et plus particulièrement dans les romans.
La forme du non-passé dans cet emploi particulier pourra être appelée "présent historique", ayant pour effet de présenter des événements passés comme si'ils étaient en train de se produire au moment où l'on parle. Si la forme du passé apporte objectivement un fait, le présent historique, lui, insiste sur sa reconnaissance subjective. L'emploi du non-passé permet au locuteur (ou à l'auteur), qui se place en esprit au moment même où s'est produit le fait en question, de donner à son récit une vivacité particulière.
Le mélange de la forme du passé et de celle du non-passé est aussi une question stylistique. En japonais, le prédicat se place toujours en fin de phrase. Pour un texte traitant de faits qui ont eu lieu dans le passé, toutes les phrases devraient normalement se terminer par -ta た (ou sa variante -da だ), ce qui pourrait éventuellement produire un effet de rime, mais sous un autre angle, cela aboutirait à la monotonie. Un auteur japonais prête particulièrement attention à la forme de la fin de chaque phrase, afin d'éviter cette monotonie. Ce qui est certainement une des raisons pour lesquelles la forme du non-passé des verbes est si fréquemment employée dans un récit.
Okina inu ga oikakete kuru! Kodomo wa muchû de hashitta.
大きな犬が追いかけて来る! 子供は夢中で走った。
"Un gros chien court après lui! L'enfant a courru désespérément."


Il semblerait que certains traducteurs français conservent ce mélange des temps en faisant alterner passé et présent, car il m'est arrivé de le rencontrer dans des romans (notamment de Sôseki je crois) et j'ai trouvé cela assez déconcertant. Je ne sais pas si cela donne au texte français la "vivacité" recherchée par les auteurs japonais... et la "rupture de monotonie" (qu'un lecteur occidental, peu habitué à ce procédé, ressentira particulièrement) n'équivaut-elle pas dans notre langue à un effet de "cassure" (et même d'étrangeté) bien plus important que dans le texte original ?


en cours ... : The Little Friend, Donna Tartt.

lundi, février 21, 2005

Chat-pitre 2

Devant Yu ayant immédiatement chopé un chou tombé par terre et ayant quelque mal à s'en dépêtrer, je pense évidemment à la scène du mochi dans Wagahai wa neko de aru ;-) ...



C’est maintenant ou jamais. Si je laisse fuir cette chance, il me faudra vivre jusqu’à l’année prochaine sans connaître le goût de ce que l’on appelle mochi. Tout chat que je suis, je comprends à cet instant une vérité profonde : l’occasion fait le larron […] Enfin, faisant porter tout mon poids sur le bol comme pour y tomber, je plante mes dents fermement dans un petit coin de mochi. Avec la vigueur que j’ai mise à mordre, j’aurais dû pouvoir couper n’importe quoi, mais à ma stupéfaction, mes dents restent immobilisées quand je tente de retirer ma prise ! J’essaie de mordre plus profondément, mais je ne peux plus remuer les mâchoires. Je me rends alors compte que les mochi sont des démons mais il est déjà trop tard. Comme un homme prisonnier dans un marécage s'enfonce plus profondément à mesure qu’il se débat pour en sortir, plus je mords, plus ma bouche devient lourde, et plus mes dents sont progressivement enserrées. Elles ont bien prise sur le mochi, mais celui-ci ne cède pas et je ne peux rien faire. L’esthète Meitei a fait un jour observer à mon maître qu’il est insondable ; c’était une sage remarque. Ce mochi est aussi insondable que mon maître. Je peux mordre et mordre, cela n’a pas de fin, comme la division de dix par trois. J’arrive à une deuxième vérité profonde dans ce tourment : « Tout être vivant peut pressentir par intuition si une action est appropriée ou non. » J’ai déjà découvert deux vérités, mais le mochi qui m’emprisonne en retire tout le plaisir, il happe mes dents qui me mettent au supplice comme si on les arrachait ; si je ne me hâte pas de couper ce morceau, O-San va arriver et les enfants, qui semblent avoir fini leur chanson, accourront certainement à la cuisine. Au comble du martyre, je secoue ma queue en tous sens, je dresse et couche mes oreilles, mais tout en vain ; d’ailleurs, ma queue et mes oreilles n’ont aucun rapport avec le mochi et je renonce quand je m’aperçois que je les agite en pure perte ; à la longue, je conclus que la seule chose à tenter est de repousser le mochi avec mes pattes de devant, et je donne d’abord quelques coups de ma patte droite près de ma bouche, mais le piège qui me retient ne se relâche pas pour si peu, je presse alors de ma patte gauche et je décris des cercles furieux avec ma tête, en prenant ma bouche comme centre, mais cette danse ne suffit pas à conjurer le démon. Puis je me dis que la patience s’impose et j’appuie alternativement à gauche et à droite ; mes dents restent toujours collées dans le mochi. « Ah, ça suffit ! » m’emporté-je, et j’utilise mes deux pattes ensemble. A mon grand étonnement, je réussis à me tenir sur mes pattes de derrière, avec la vague impression de ne plus être un chat. Mais cela n’a aucune importance dans ma situation et, prenant la résolution de lutter jusqu’à ce que ce diable de mochi lâche prise, je me racle le visage dans tous les sens. L’agitation furieuse de mes pattes de devant me fait parfois perdre l’équilibre, que je dois rattraper avec mes pattes de derrière, et je ne peux plus rester sur place ; je parcours ainsi toute la cuisine en bonds désordonnés. Modestie mise à part, j’arrive fort habilement à rester dressé sur deux pattes. Une troisième vérité m’illumine brusquement : « La nécessité rend ingénieux, c’est une grâce du Ciel. » J’ai été élu pour recevoir cette grâce, et je me débats toujours aussi violemment avec le mochi lorsqu’il me semble entendre un bruit de pas à l’intérieur de la maison. Quelle affaire si on me surprend dans cet état ! je redouble de fougue en sillonnant la cuisine, et les pas approchent. la grâce du Ciel m’a été mesurée un peu trop juste : je suis découvert par les enfants.
- Oh ! Le chat a mangé le zōni et il danse ! s’écrient-elles.
Natsume Sôseki,
Je suis un chat (chat-pitre 2)



en cours... : The Little Friend, Donna Tartt / Blue, Kiriko Nananan

dimanche, février 20, 2005

泉鏡花, Izumi Kyōka

Un écrivain que j’ai découvert cet été avec La Femme Ailée .
Je viens de finir Japanese Gothic Tales qui rassemble quatre de ses nouvelles les plus connues. Une lecture en anglais, car il semble bien plus traduit, publié et étudié aux Etats-Unis qu’en France. Dommage qu’il soit encore relativement méconnu chez nous car il occupe une place majeure parmi les auteurs japonais. Ami de Sôseki, ses contes fantastiques eurent une grande influence sur Akutagawa (Rashômon). Tanizaki décrivait son style comme étant « purement japonais, n’empruntant ni à l’Occident, ni à la Chine ». Mishima le qualifia de « génie » et de « jardin de pivoines s’épanouissant dans le désert de la littérature moderne ». Les personnages féminins étant centraux dans son œuvre, il inspira également Mizoguchi, dont les films évoquent les difficultés de la condition féminine dans le Japon traditionnel... La lecture d’Izumi Kyôka est cependant réputée difficile pour les Japonais d'aujourd'hui, les kanji qu'il emploie étant peu usités.
La traduction en français de La Femme Ailée nous fait en tout cas découvrir un type de narration original et déconcertant, tout en ellipses, images énigmatiques et impromptues, qui évoque le rêve et ses enchaînements de séquences décousues. Pour le texte anglais, c’est différent. L’étrangeté de l’atmosphère, les images bizarres sont conservées, mais le style est beaucoup plus «lisse», ordinaire, le traducteur américain reconnaît d’ailleurs en post-face avoir élagué certaines répétitions pour en faire une lecture plus aisée.
J'ai lu dans un commentaire sur Izumi Kyôka que ses récits puisant dans le folklore et les traditions japonaises, écrits pendant les ères Meiji, Taisho and Showa (fin du 19e siècle et années 20), pendant lesquelles le pays s'occidentalisait rapidement, pouvaient alors sembler démodés. Je les trouve pourtant modernes pour l'époque. Construction et images évoquent la poésie surréaliste européenne ou le stream of consciousness de Woolf et Joyce . Une héroïne des nouvelles de ce recueil décrit un paysage d'une façon très picturale et expressionniste (elle remplit d'ailleurs ses carnets de croquis abstraits):


“See this glorious grass ? These trees ? They have blood and passion. They’re hot beneath the sun’s red light, and the earth is warm like skin. The light penetrates the bamboo grove, and the blossoms are without shadows. They bloom
like fire, and when they flutter down onto the water, the stream becomes a red lacquered cup that slowly floats away. The ocean is blue wine, and the sky …”
She turned the white palm of her hand so it was facing upward. “The sky is like a green oil. Viscous. No clouds, but still murky and full of dreams. The mountains are stuffed like velvet pillows. Here and there the heat waves shimmer like thick coils rising fragrantly into the sleeves of a kimono.”

Le recueil en anglais comprend donc :
The Surgery Room. Une aristocrate sur le point d’être opérée par un chirurgien de renom refuse obstinément toute anesthésie.
The Holy Man of Mount Kōya. Lors d’un voyage, le narrateur rencontre un moine bouddhiste qui lui fait le récit de son étrange et périlleuse traversée des monts Hida.
One Day in Spring. Un voyageur fait étape dans un temple bouddhique de campagne, où on lui raconte l’histoire tragique liée à un poème d’amour fixé à un des piliers.
Osen et Sōkichi . Dans un train de Tôkyô, un médecin croit reconnaître une femme qui lui a sauvé la vie autrefois.

The Holy Man et One Day , m'ont particulièrement intéressée par leur construction en abyme, car il s'agit de récits au creux du récit, de fiction se dédoublant de façon très subtile.
Dans le premier, le moine Shūchō , le saint homme du Mont Kōya, est d'abord décrit comme un compagnon de voyage agréable, mais plutôt banal ,"gentle, ordinary, likeable", qui dort à plat ventre sur son futon. Cependant, au fur et à mesure qu'il raconte son aventure au narrateur dans une chambre d'auberge de Tsuruga , il se détache de ce cadre réaliste pour acquérir une stature bien plus fictionnelle et romanesque. Devenu le héros d'une épopée fantastique au travers de montagnes et de forêts maléfiques, il est comme entré de plein pied dans un livre d'images, une peinture peuplée de démons et de sorcières représentant l'enfer bouddhique . Des créatures sorties du folklore japonais, mais une atmosphère évoquant aussi Dante et les Tentations de saints chrétiens. Le moine Shūchō émerge de ce récit comme transfiguré aux yeux de son auditeur et des nôtres. L'histoire se clôt ainsi: "as he gradually made his way up the mountain road, the holy man of Mount Kōya seemed to be riding on the clouds. "
De même, dans One Day in Spring, un voyageur écoute le récit que lui fait un moine (encore...), où un homme se meurt d’amour pour la très belle, mariée et inaccessible Tamawaki Mio, qui a déposé ce poème dans un temple : In a nap at midday / I met my beloved / Then did I begin to believe / In the things we call dreams.
Puis il reprend son chemin à travers la campagne (magnifique description de la nature au printemps). Cependant, il croise en chemin cette même Mio qui lui apprend à quel point il lui rappelle ce soupirant qui s'est suicidé . Comme lui, il venait de Tôkyô, voyageait dans la région et avait séjourné au temple. Face à cette femme fascinante échappée de l'histoire qu'on vient de lui conter, se sentant lui-même - à cause de cette ressemblance supposée avec l'autre homme - aspiré à l'intérieur de cette fiction, le voyageur éprouve un vertige. Est-il passé de l'autre côté du miroir?
Car si elle semble sortir d'une légende japonaise du temps jadis, Mio a de plus tout de l'héroïne de roman gothique européen: "She had the looks of a woman who would dress in a crimson skirt and read by candlelight in a dark castle keep, the dew dripping from her sleeves" et la beauté délicate des courtisanes sur les ukiyo-e. Elle est surtout comparée à la légendaire poétesse Ono no Komachi qui vécut à l'époque Heian et aurait sombré dans la folie suite à la mort de son amant.
Comme Mio et son amant malheureux, qui ne peuvent s'unir qu'en rêve, le voyageur en vient à s'interroger sur l'emprise des rêves sur la vie humaine, sur la valeur de la vie face à une existence onirique, un autre monde où tout peut enfin se réaliser.


What about dreams? he thought. He felt as though he were seeing one now. If you wake up and realize you were asleep, then you know you were dreaming. But if you never wake up, how could it be a dream? Didn’t someone say that the only
difference between the mad and the sane is the length of one’s periods of insanity? Like waves that grow wild in a blowing wind, everyone has times of madness. But the wind soon calms, and the waves end in a soothing dance. If not,then we begin to lose our minds, we who ply the seas of this floating world.
And on the day that we pray for repose yet find no reprieve from the winds, we become seasick. Becoming seasick, we quickly go mad. How perilous! We find ourselves in the same situation when our dreams don’t stop. If we can wake up,it’s a dream. If we can’t, then it’s our reality. And yet, if it is in our dreams that we meet the people we love, why wouldn’t we dream as much as we could?

The Holy Man offre aussi de belles scènes oniriques, comme celle du bain nocturne dans la rivière régénératrice, où le prêtre Shūchō échappe de peu aux maléfices d’une Circé japonaise.


She began combing her hair. “I’m really being a tomboy. What if I fell into the river? What would the people downstream think?”
“That you were a white peach blossom.” I said what came to my mind. Our eyes met.
She smiled, as if pleased with my words. At that moment, she seemed seven or eight years younger, looking down at the water with an innocent shyness. Her figure, bathed in the moonlight and enveloped in the evening mist, shimmered translucent blue before a huge, smooth rock that was being moistened black by the spray from the opposite bank.
It had grown dark, and I had trouble seeing clearly. But there must have been a cave somewhere nearby, for just then a number of bats, creatures as large as birds, began darting over our heads.
“Stop that. Can’t you see I have a guest?”the woman suddenly cried out and shuddered.
“Is something wrong?” I asked calmly. I had put my clothes back on.
“No,” she said as if embarrassed, and quickly turned away.
Pour télécharger The Holy Man of Mount Kōya (dans une traduction différente) en pdf: http://www.intangible.org/Features/koya/koyaacrobat.html


en cours ... : The Little Friend, Donna Tartt.

vendredi, février 04, 2005

Fantaisie théorique

Le Woody Allen cuvée 2005, vu récemment.

Dans un restaurant, deux convives, l'un auteur de tragédies, l'autre de comédies, discutent de la relation de ces deux genres à l'existence humaine. Lequel reflète le mieux l'absurdité de la vie ?
Partant d'une même amorce - Melinda, jeune femme fantasque et paumée , fait irruption dans la vie d'un couple - ces deux dramaturges vont chacun interpréter, développer l'histoire à leur manière, façon tragique ou façon comique.
Le film pourrait donc tout avoir de l'exercice de style, de la brillante mais sèche démonstration théorique. En fait, c'est plutôt, avec sa légèreté, son humour et son aisance, une agréable "fantaisie théorique" à la Resnais (Smoking/No smoking) ...
Sa construction est d'ailleurs plus complexe qu'il n'y paraît. On ne tarde pas à s'apercevoir que la frontière n'est pas "étanche" entre les deux interprétations. Des éléments burlesques se nichent dans la version tragique,et de même, la comédie romantique a souvent des accents amers. Le trait d'union évident entre les deux histoires est bien entendu l'actrice jouant les deux Melinda (Radha Mitchell, mi-Emmanuelle Béart mi-Laeticia Halliday, mdr) incarnant tantôt une héroïne bovaryenne tantôt une galeriste bohème avide d'expériences. Même si les évènements sont différents, on retrouve néanmoins les mêmes éléments, allant de situations semblables (milieux intellectuels et artistiques, désintégration annoncée d'un couple où l'un travaille et l'autre galère, relations à la mère, difficultés profondes de communication en dépit de l'apparente facilité du discours ...) à des noms de lieux, et même à des objets, similaires ... Comme un même jeu de cartes battu et redistribué. Comme les décors et accessoires utilisés par une même troupe théâtrale pour jouer King Lear puis As you like it ... Les deux intrigues ne courent d'ailleurs pas toujours en parallèle, mais finissent par s'entremêler, un événement amorcé dans l'une se développant dans l'autre. Continuité aussi dans la mise en scène , même rythme assez lent, même photo dans les tons orangés et dorés, mêmes clairs-obscurs.
Le propos de Woody Allen est donc: l'existence tiendrait plutôt de la tragicomédie, où tout est mêlé, rire et larmes, déchirements et rencontres. Une conclusion ne manquant pas de véracité.
Un peu dommage par contre: le peu d'épaisseur des personnages. Bien sûr Melinda, figure malléable (ou, sur l'affiche du film, masque manipulé par un réalisateur-marionnettiste), est avant tout un outil au service d'un auteur et de sa démonstration.Elle ne peut donc que perdre en réalisme, en dépit de ses douleurs et de sa quête de bonheur si humaines. Mais les personnages des conjoints, acteur bradpittien volage et alcoolique, réalisatrice féministe aux airs de top-model, sont assez pâles, voire caricaturaux. Bizarre aussi d'entendre les vannes alléniennes dans la bouche d'un autre acteur (Will Ferrel), débitées à un rythme soutenu. Ca fait un peu chaman possédé par l'esprit du plus célèbre des New-Yorkais à lunettes. Seul le personnage de Laurel (Chloë Sevigny), musicienne frustrée prisonnière de son image de "Park Avenue Princess", a vraiment de la profondeur et on souhaiterait que l'intrigue lui donne plus d'importance.
Cette superficialité des personnages serait-elle volontaire ? Une illustration du statut ambigu du personnage: représentation même de la vie et de sa complexité, mais en même temps, une fois le livre refermé, l'écran éteint, la scène désertée, aussi plat que le papier ou la pellicule sur lesquels on l'a couché, un peu comme dans la Rose Pourpre du Caire ? En même temps cela ne me semble pas vraiment ressortir du propos du film...
Cela dit, j'ai passé en compagnie de Melinda qui pleure et Melinda qui rit un moment plutôt agréable, un des plaisirs de la saison, le Woody Allen annuel.

en cours: Japanese Gothic Tales, Izumi Kyôka.