vendredi, février 04, 2005

Fantaisie théorique

Le Woody Allen cuvée 2005, vu récemment.

Dans un restaurant, deux convives, l'un auteur de tragédies, l'autre de comédies, discutent de la relation de ces deux genres à l'existence humaine. Lequel reflète le mieux l'absurdité de la vie ?
Partant d'une même amorce - Melinda, jeune femme fantasque et paumée , fait irruption dans la vie d'un couple - ces deux dramaturges vont chacun interpréter, développer l'histoire à leur manière, façon tragique ou façon comique.
Le film pourrait donc tout avoir de l'exercice de style, de la brillante mais sèche démonstration théorique. En fait, c'est plutôt, avec sa légèreté, son humour et son aisance, une agréable "fantaisie théorique" à la Resnais (Smoking/No smoking) ...
Sa construction est d'ailleurs plus complexe qu'il n'y paraît. On ne tarde pas à s'apercevoir que la frontière n'est pas "étanche" entre les deux interprétations. Des éléments burlesques se nichent dans la version tragique,et de même, la comédie romantique a souvent des accents amers. Le trait d'union évident entre les deux histoires est bien entendu l'actrice jouant les deux Melinda (Radha Mitchell, mi-Emmanuelle Béart mi-Laeticia Halliday, mdr) incarnant tantôt une héroïne bovaryenne tantôt une galeriste bohème avide d'expériences. Même si les évènements sont différents, on retrouve néanmoins les mêmes éléments, allant de situations semblables (milieux intellectuels et artistiques, désintégration annoncée d'un couple où l'un travaille et l'autre galère, relations à la mère, difficultés profondes de communication en dépit de l'apparente facilité du discours ...) à des noms de lieux, et même à des objets, similaires ... Comme un même jeu de cartes battu et redistribué. Comme les décors et accessoires utilisés par une même troupe théâtrale pour jouer King Lear puis As you like it ... Les deux intrigues ne courent d'ailleurs pas toujours en parallèle, mais finissent par s'entremêler, un événement amorcé dans l'une se développant dans l'autre. Continuité aussi dans la mise en scène , même rythme assez lent, même photo dans les tons orangés et dorés, mêmes clairs-obscurs.
Le propos de Woody Allen est donc: l'existence tiendrait plutôt de la tragicomédie, où tout est mêlé, rire et larmes, déchirements et rencontres. Une conclusion ne manquant pas de véracité.
Un peu dommage par contre: le peu d'épaisseur des personnages. Bien sûr Melinda, figure malléable (ou, sur l'affiche du film, masque manipulé par un réalisateur-marionnettiste), est avant tout un outil au service d'un auteur et de sa démonstration.Elle ne peut donc que perdre en réalisme, en dépit de ses douleurs et de sa quête de bonheur si humaines. Mais les personnages des conjoints, acteur bradpittien volage et alcoolique, réalisatrice féministe aux airs de top-model, sont assez pâles, voire caricaturaux. Bizarre aussi d'entendre les vannes alléniennes dans la bouche d'un autre acteur (Will Ferrel), débitées à un rythme soutenu. Ca fait un peu chaman possédé par l'esprit du plus célèbre des New-Yorkais à lunettes. Seul le personnage de Laurel (Chloë Sevigny), musicienne frustrée prisonnière de son image de "Park Avenue Princess", a vraiment de la profondeur et on souhaiterait que l'intrigue lui donne plus d'importance.
Cette superficialité des personnages serait-elle volontaire ? Une illustration du statut ambigu du personnage: représentation même de la vie et de sa complexité, mais en même temps, une fois le livre refermé, l'écran éteint, la scène désertée, aussi plat que le papier ou la pellicule sur lesquels on l'a couché, un peu comme dans la Rose Pourpre du Caire ? En même temps cela ne me semble pas vraiment ressortir du propos du film...
Cela dit, j'ai passé en compagnie de Melinda qui pleure et Melinda qui rit un moment plutôt agréable, un des plaisirs de la saison, le Woody Allen annuel.

en cours: Japanese Gothic Tales, Izumi Kyôka.

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