dimanche, février 20, 2005

泉鏡花, Izumi Kyōka

Un écrivain que j’ai découvert cet été avec La Femme Ailée .
Je viens de finir Japanese Gothic Tales qui rassemble quatre de ses nouvelles les plus connues. Une lecture en anglais, car il semble bien plus traduit, publié et étudié aux Etats-Unis qu’en France. Dommage qu’il soit encore relativement méconnu chez nous car il occupe une place majeure parmi les auteurs japonais. Ami de Sôseki, ses contes fantastiques eurent une grande influence sur Akutagawa (Rashômon). Tanizaki décrivait son style comme étant « purement japonais, n’empruntant ni à l’Occident, ni à la Chine ». Mishima le qualifia de « génie » et de « jardin de pivoines s’épanouissant dans le désert de la littérature moderne ». Les personnages féminins étant centraux dans son œuvre, il inspira également Mizoguchi, dont les films évoquent les difficultés de la condition féminine dans le Japon traditionnel... La lecture d’Izumi Kyôka est cependant réputée difficile pour les Japonais d'aujourd'hui, les kanji qu'il emploie étant peu usités.
La traduction en français de La Femme Ailée nous fait en tout cas découvrir un type de narration original et déconcertant, tout en ellipses, images énigmatiques et impromptues, qui évoque le rêve et ses enchaînements de séquences décousues. Pour le texte anglais, c’est différent. L’étrangeté de l’atmosphère, les images bizarres sont conservées, mais le style est beaucoup plus «lisse», ordinaire, le traducteur américain reconnaît d’ailleurs en post-face avoir élagué certaines répétitions pour en faire une lecture plus aisée.
J'ai lu dans un commentaire sur Izumi Kyôka que ses récits puisant dans le folklore et les traditions japonaises, écrits pendant les ères Meiji, Taisho and Showa (fin du 19e siècle et années 20), pendant lesquelles le pays s'occidentalisait rapidement, pouvaient alors sembler démodés. Je les trouve pourtant modernes pour l'époque. Construction et images évoquent la poésie surréaliste européenne ou le stream of consciousness de Woolf et Joyce . Une héroïne des nouvelles de ce recueil décrit un paysage d'une façon très picturale et expressionniste (elle remplit d'ailleurs ses carnets de croquis abstraits):


“See this glorious grass ? These trees ? They have blood and passion. They’re hot beneath the sun’s red light, and the earth is warm like skin. The light penetrates the bamboo grove, and the blossoms are without shadows. They bloom
like fire, and when they flutter down onto the water, the stream becomes a red lacquered cup that slowly floats away. The ocean is blue wine, and the sky …”
She turned the white palm of her hand so it was facing upward. “The sky is like a green oil. Viscous. No clouds, but still murky and full of dreams. The mountains are stuffed like velvet pillows. Here and there the heat waves shimmer like thick coils rising fragrantly into the sleeves of a kimono.”

Le recueil en anglais comprend donc :
The Surgery Room. Une aristocrate sur le point d’être opérée par un chirurgien de renom refuse obstinément toute anesthésie.
The Holy Man of Mount Kōya. Lors d’un voyage, le narrateur rencontre un moine bouddhiste qui lui fait le récit de son étrange et périlleuse traversée des monts Hida.
One Day in Spring. Un voyageur fait étape dans un temple bouddhique de campagne, où on lui raconte l’histoire tragique liée à un poème d’amour fixé à un des piliers.
Osen et Sōkichi . Dans un train de Tôkyô, un médecin croit reconnaître une femme qui lui a sauvé la vie autrefois.

The Holy Man et One Day , m'ont particulièrement intéressée par leur construction en abyme, car il s'agit de récits au creux du récit, de fiction se dédoublant de façon très subtile.
Dans le premier, le moine Shūchō , le saint homme du Mont Kōya, est d'abord décrit comme un compagnon de voyage agréable, mais plutôt banal ,"gentle, ordinary, likeable", qui dort à plat ventre sur son futon. Cependant, au fur et à mesure qu'il raconte son aventure au narrateur dans une chambre d'auberge de Tsuruga , il se détache de ce cadre réaliste pour acquérir une stature bien plus fictionnelle et romanesque. Devenu le héros d'une épopée fantastique au travers de montagnes et de forêts maléfiques, il est comme entré de plein pied dans un livre d'images, une peinture peuplée de démons et de sorcières représentant l'enfer bouddhique . Des créatures sorties du folklore japonais, mais une atmosphère évoquant aussi Dante et les Tentations de saints chrétiens. Le moine Shūchō émerge de ce récit comme transfiguré aux yeux de son auditeur et des nôtres. L'histoire se clôt ainsi: "as he gradually made his way up the mountain road, the holy man of Mount Kōya seemed to be riding on the clouds. "
De même, dans One Day in Spring, un voyageur écoute le récit que lui fait un moine (encore...), où un homme se meurt d’amour pour la très belle, mariée et inaccessible Tamawaki Mio, qui a déposé ce poème dans un temple : In a nap at midday / I met my beloved / Then did I begin to believe / In the things we call dreams.
Puis il reprend son chemin à travers la campagne (magnifique description de la nature au printemps). Cependant, il croise en chemin cette même Mio qui lui apprend à quel point il lui rappelle ce soupirant qui s'est suicidé . Comme lui, il venait de Tôkyô, voyageait dans la région et avait séjourné au temple. Face à cette femme fascinante échappée de l'histoire qu'on vient de lui conter, se sentant lui-même - à cause de cette ressemblance supposée avec l'autre homme - aspiré à l'intérieur de cette fiction, le voyageur éprouve un vertige. Est-il passé de l'autre côté du miroir?
Car si elle semble sortir d'une légende japonaise du temps jadis, Mio a de plus tout de l'héroïne de roman gothique européen: "She had the looks of a woman who would dress in a crimson skirt and read by candlelight in a dark castle keep, the dew dripping from her sleeves" et la beauté délicate des courtisanes sur les ukiyo-e. Elle est surtout comparée à la légendaire poétesse Ono no Komachi qui vécut à l'époque Heian et aurait sombré dans la folie suite à la mort de son amant.
Comme Mio et son amant malheureux, qui ne peuvent s'unir qu'en rêve, le voyageur en vient à s'interroger sur l'emprise des rêves sur la vie humaine, sur la valeur de la vie face à une existence onirique, un autre monde où tout peut enfin se réaliser.


What about dreams? he thought. He felt as though he were seeing one now. If you wake up and realize you were asleep, then you know you were dreaming. But if you never wake up, how could it be a dream? Didn’t someone say that the only
difference between the mad and the sane is the length of one’s periods of insanity? Like waves that grow wild in a blowing wind, everyone has times of madness. But the wind soon calms, and the waves end in a soothing dance. If not,then we begin to lose our minds, we who ply the seas of this floating world.
And on the day that we pray for repose yet find no reprieve from the winds, we become seasick. Becoming seasick, we quickly go mad. How perilous! We find ourselves in the same situation when our dreams don’t stop. If we can wake up,it’s a dream. If we can’t, then it’s our reality. And yet, if it is in our dreams that we meet the people we love, why wouldn’t we dream as much as we could?

The Holy Man offre aussi de belles scènes oniriques, comme celle du bain nocturne dans la rivière régénératrice, où le prêtre Shūchō échappe de peu aux maléfices d’une Circé japonaise.


She began combing her hair. “I’m really being a tomboy. What if I fell into the river? What would the people downstream think?”
“That you were a white peach blossom.” I said what came to my mind. Our eyes met.
She smiled, as if pleased with my words. At that moment, she seemed seven or eight years younger, looking down at the water with an innocent shyness. Her figure, bathed in the moonlight and enveloped in the evening mist, shimmered translucent blue before a huge, smooth rock that was being moistened black by the spray from the opposite bank.
It had grown dark, and I had trouble seeing clearly. But there must have been a cave somewhere nearby, for just then a number of bats, creatures as large as birds, began darting over our heads.
“Stop that. Can’t you see I have a guest?”the woman suddenly cried out and shuddered.
“Is something wrong?” I asked calmly. I had put my clothes back on.
“No,” she said as if embarrassed, and quickly turned away.
Pour télécharger The Holy Man of Mount Kōya (dans une traduction différente) en pdf: http://www.intangible.org/Features/koya/koyaacrobat.html


en cours ... : The Little Friend, Donna Tartt.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'ai bien aimé "la femme ailée", et "le camphrier" aux éditions picquier. Dans cette dernière nouvelle, on voit une grande attention attachée aux sensations et en même temps une portée symbolique avec l'arbre qui se met à revivre.

http://grain-de-sel.cultureforum.net/sutra31292-Izumi-Kyoka.htm#31292