lundi, février 21, 2005

Chat-pitre 2

Devant Yu ayant immédiatement chopé un chou tombé par terre et ayant quelque mal à s'en dépêtrer, je pense évidemment à la scène du mochi dans Wagahai wa neko de aru ;-) ...



C’est maintenant ou jamais. Si je laisse fuir cette chance, il me faudra vivre jusqu’à l’année prochaine sans connaître le goût de ce que l’on appelle mochi. Tout chat que je suis, je comprends à cet instant une vérité profonde : l’occasion fait le larron […] Enfin, faisant porter tout mon poids sur le bol comme pour y tomber, je plante mes dents fermement dans un petit coin de mochi. Avec la vigueur que j’ai mise à mordre, j’aurais dû pouvoir couper n’importe quoi, mais à ma stupéfaction, mes dents restent immobilisées quand je tente de retirer ma prise ! J’essaie de mordre plus profondément, mais je ne peux plus remuer les mâchoires. Je me rends alors compte que les mochi sont des démons mais il est déjà trop tard. Comme un homme prisonnier dans un marécage s'enfonce plus profondément à mesure qu’il se débat pour en sortir, plus je mords, plus ma bouche devient lourde, et plus mes dents sont progressivement enserrées. Elles ont bien prise sur le mochi, mais celui-ci ne cède pas et je ne peux rien faire. L’esthète Meitei a fait un jour observer à mon maître qu’il est insondable ; c’était une sage remarque. Ce mochi est aussi insondable que mon maître. Je peux mordre et mordre, cela n’a pas de fin, comme la division de dix par trois. J’arrive à une deuxième vérité profonde dans ce tourment : « Tout être vivant peut pressentir par intuition si une action est appropriée ou non. » J’ai déjà découvert deux vérités, mais le mochi qui m’emprisonne en retire tout le plaisir, il happe mes dents qui me mettent au supplice comme si on les arrachait ; si je ne me hâte pas de couper ce morceau, O-San va arriver et les enfants, qui semblent avoir fini leur chanson, accourront certainement à la cuisine. Au comble du martyre, je secoue ma queue en tous sens, je dresse et couche mes oreilles, mais tout en vain ; d’ailleurs, ma queue et mes oreilles n’ont aucun rapport avec le mochi et je renonce quand je m’aperçois que je les agite en pure perte ; à la longue, je conclus que la seule chose à tenter est de repousser le mochi avec mes pattes de devant, et je donne d’abord quelques coups de ma patte droite près de ma bouche, mais le piège qui me retient ne se relâche pas pour si peu, je presse alors de ma patte gauche et je décris des cercles furieux avec ma tête, en prenant ma bouche comme centre, mais cette danse ne suffit pas à conjurer le démon. Puis je me dis que la patience s’impose et j’appuie alternativement à gauche et à droite ; mes dents restent toujours collées dans le mochi. « Ah, ça suffit ! » m’emporté-je, et j’utilise mes deux pattes ensemble. A mon grand étonnement, je réussis à me tenir sur mes pattes de derrière, avec la vague impression de ne plus être un chat. Mais cela n’a aucune importance dans ma situation et, prenant la résolution de lutter jusqu’à ce que ce diable de mochi lâche prise, je me racle le visage dans tous les sens. L’agitation furieuse de mes pattes de devant me fait parfois perdre l’équilibre, que je dois rattraper avec mes pattes de derrière, et je ne peux plus rester sur place ; je parcours ainsi toute la cuisine en bonds désordonnés. Modestie mise à part, j’arrive fort habilement à rester dressé sur deux pattes. Une troisième vérité m’illumine brusquement : « La nécessité rend ingénieux, c’est une grâce du Ciel. » J’ai été élu pour recevoir cette grâce, et je me débats toujours aussi violemment avec le mochi lorsqu’il me semble entendre un bruit de pas à l’intérieur de la maison. Quelle affaire si on me surprend dans cet état ! je redouble de fougue en sillonnant la cuisine, et les pas approchent. la grâce du Ciel m’a été mesurée un peu trop juste : je suis découvert par les enfants.
- Oh ! Le chat a mangé le zōni et il danse ! s’écrient-elles.
Natsume Sôseki,
Je suis un chat (chat-pitre 2)



en cours... : The Little Friend, Donna Tartt / Blue, Kiriko Nananan

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