dimanche, septembre 25, 2005

Rééditions attendues !

J'ai appris avec plaisir cette semaine deux rééditions de classiques devenus introuvables.

  • Tout d'abord celle de L'Empire des Signes, de Roland Barthes, au Seuil, dans la collection Points essais.

Pourquoi le Japon ? Parce que c'est le pays de l'écriture : de tous les pays que l'auteur a pu connaître, le Japon est celui où il a rencontré le travail du signe le plus proche de ses convictions et de ses fantasmes, ou, si l'on préfère, le plus éloigné des dégoûts, des irritations et des refus que suscite en lui la sémiocratie occidentale. Le signe japonais est fort : admirablement réglé, agencé, affiché, jamais naturalisé ou rationalisé. Le signe japonais est vide : son signifié fuit, point de dieu, de vérité, de morale au fond de ces signifiants qui règnent sans contrepartie. Et surtout, la qualité supérieure de ce signe, la noblesse de son affirmation et la grâce érotique dont il se dessine sont apposées partout, sur les objets et sur les conduites les plus futiles, celles que nous renvoyons ordinairement dans l'insignifiance ou la vulgarité. Le lieu du signe ne sera donc pas cherché ici du côté de ses domaines institutionnels : il ne sera question ni d'art, ni de folklore, ni même de " civilisation " (on n'opposera pas le Japon féodal au Japon technique). Il sera question de la ville, du magasin, du théâtre, de la politesse, des jardins, de la violence ; il sera question de quelques gestes, de quelques nourritures, de quelques poèmes ; il sera question des visages, des yeux et des pinceaux avec quoi tout cela s'écrit mais ne se peint pas.

Roland Barthes

  • Et...et... parce qu'il n'y a pas que le Japon et la sémiologie dans la vie, je lis dans le JDD ce matin que mercredi 28 septembre c'est le retour des pois sauteurs dans Pif ! :

    Souvenirs, souvenirs! Mercredi, Pif Gadget* réédite un coup historique. Un numéro spécial vendu avec, en cadeau, des pois sauteurs, curiosité naturelle importée du Mexique: de tout petits fruits d'un arbre, à l'intérieur desquels une larve misnuscule, en se développant, provoque leurs sauts. En janvier, la créature bondissante, qui aime le silence et la chaleur, brisera sa coque et se fera papillon de nuit. D'ici là, enfants et ... parents passeront des heures à regarder les pois sauter et s'agiter. Imparable.
    Le gadget a son poids d'histoire. Le 4 octobre 1971, une vague de pois sauteurs, (baptisés Pifitos) provoque une ruée exceptionnelle vers les kiosques: 1,2 million d'exemplaires vendus, record absolu des ventes de la presse jeunesse.

    * Pif Gadget (3,90€, mercredi)
    © Le Journal du Dimanche (25/09/05)

Alors si comme moi vous étiez trop jeunes à l'époque et vous avez du vous contenter des gadgets plus tardifs (barbecue solaire, walkman arroseur et autres torques phosphorescents), tous à vos kiosques mercredi !

dimanche, septembre 18, 2005

Harry Potter version 6

Dans quelques jours se dresseront dans nos librairies et grandes surfaces de conquérantes piles de la traduction française du dernier opus de JK Rowling, Harry Potter and the Half-Blood Prince (Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé). Pollanno vous en propose la critique en avant-première, sans dévoiler l'identité du fameux personnage trucidé à la fin (ne voulant pas renouveler chez vous cette vertigineuse sensation de chute qui accompagna autrefois la froide révélation : " Le père Noël c'est les parents, banane") .
Un Harry Potter, pour moi, c'est un agréable moment de lecture, mais qui ne me laisse généralement aucun souvenir précis. C'est que chaque nouveau volume semble annihiler dans ma faible mémoire les aventures précédentes, un peu comme lors d'une mise à jour de logiciel , la nouvelle version écrase l'ancienne. Je continue à filer la métaphore: on conserve la même interface (l'école de sorcellerie d'Hogwarts, le monde scindé en Wizards vs Muggles, la menace latente de l'abominable Saur... Lord Voldemort) mais avec de nouvelles fonctionnalités: cette fois-ci Harry découvre un antique grimoire de potions, annoté par un étrange "prince au sang-mêlé" et il continue à explorer le passé de Voldemort grâce à des souvenirs en bouteille. Ouala.
Sinon, rien de bien nouveau sous le plafond-ciel de Hogwarts. Tout ce qui m'avait semblé inventif et plutôt divertissant lors de ma découverte de l'univers à la fois féérique et réaliste créé par Rowling, (les objets magiques intégrés au quotidien, le bestiaire, les fantômes bavards) , toutes ces trouvailles se fondent désormais dans le décor. En gros, on prend les mêmes et on recommence.
Contrairement aux sagas linéaires à la Tolkien, Harry Potter c'est l'éternel retour d'une année scolaire au rythme des saisons, certes ponctuée de péripéties, mais une intrigue toujours construite sur le même schéma. Au moins, cette fois-ci l'exposition est moins longue que dans le précédent ( HP version 5: The Order of the Phoenix) où l'ennui de Harry Potter, confiné dans une chambre sinistre et condamné à l'inaction, faisait écho à l'impatience grandissante du lecteur. L'action se traîne néanmoins. Le fameux grimoire constitue l'essentiel de l'intrigue, ralentie par d'interminables comptes-rendus de championnats de Quidditch. La fin dramatique, qui commence à avoir un goût de déjà-vu, m'a laissée assez indifférente. C'est que depuis The Goblet of Fire (HP version 4) un proche de Harry disparaît régulièrement dans les dernières pages.
En donnant un tel tour sombre à sa saga, JK Rowling met à mal ce qui en fait l'intérêt, à savoir l'évolution d'un héros somme toute banal, confronté, malgré ses aventures fantastiques, aux mêmes épreuves que son jeune lectorat. Amitiés, bagarres et rivalités, mauvaises notes, conflits avec les adultes, expéditions hasardeuses, victoires et gamelles sportives, et même deuils...
Or Harry, même chahuté dans ce tome par ses hormones, ressemble de moins en moins à l'ado lambda et de plus en plus à un héros tragique. Et sa nouvelle banalité est bien moins intéressante, car "le jeune type qui cherche à venger ses parents assassinés et à débarrasser le monde d'un puissant et maléfique individu, quitte à y laisser sa vie", thème usé jusqu'à la trame ... Rowling sait décrire avec talent et vérité le ressenti enfantin, mais fait preuve d'un net manque d'inspiration dans un registre plus dramatique, plus adulte ... Veut-elle nous la jouer ambitieux et shakespearien ? Même pas, car des relents de Star Wars de plus en plus prononcés commencent à flotter dans les corridors de Hogwarts ( il est même question dans ce volume de mains bousillées, c'est vous dire...). Le sorcier/directeur de l'école Dumbledore confirme son appartenance à la confrérie déjà bien garnie des Vieux Guides Barbus, au côté des Gandalf et autres Obi Wan.
La seule subtilité (peut-être un peu roublarde) est la mise en abyme, dans le roman, de la célébrité mondiale de Harry. Dans ce volume, il accède à un véritable statut de superstar au sein du monde magique, il est poursuivi par des meutes de fans, il doit signer des autographes à tour de bras, la presse l'encense et l'éreinte...
Voilà, en espérant que cette critique d'une rare violence ;-) ne vous aura pas dissuadés d'y jeter un oeil...


Harry Potter and the Half-Blood Prince, JK Rowling, Bloomsbury, 2005, 607 p.

prochaines critiques: La Ville au Crépuscule, Kazumi Yumoto / It's like this, Cat, Emily Cheney Neville / 1969, Murakami Ryû.

mercredi, septembre 07, 2005

Saudade...saudade...♪

Après un été plutôt maigre en mises à jour (malgré la quantité de lecture - entre autres sur les agréables bords de l'Erdre), la rentrée sur Pollanno sera bien plus active, promis !
On commence avec l'écrivain portugais Wenceslau de Moraes (1854-1929), qui déclare dans O-Yone et Ko-Haru :

Il ne fait aucun doute que le Japon – il en va de même pour tous les pays exotiques, mais c’est peut-être vrai pour le Japon comme pour aucun autre- n’est pas un pays fait pour les Occidentaux . (L'étranger au Japon)

Et pourtant, comme Lafcadio Hearn, qu'il admire, Moraes a vu dans le Japon une sorte de paradis terrestre, à l'opposé d'un Occident en plein déclin, et regretté de "ne pas être né japonais".
Ancien officier de marine, consul du Portugal à Kobe, il épouse O-Yone, une geisha, et à la mort de celle-ci, démissionne de ses fonctions. Il se retire à Tokushima, Shikoku, et limite dès lors les liens avec son pays natal à l'envoi de chroniques aux journaux. Plusieurs d'entre elles figurent dans le recueil O-Yone et Ko-Haru . A l'instar de Hearn, ses écrits offrent une vision quelque peu idéalisée de la société japonaise traditionnelle , mais ils s'efforcent de dépasser les clichés orientalisants véhiculés par d'autres écrivains-voyageurs moins soucieux d'authenticité, tels Pierre Loti et sa madame Chrysanthème.

A propos de Hearn, Moraes écrit:
"Ce ne sont pas ses livres que je relis mais que c’est plutôt l’auteur lui-même que j’écoute discourir, comme s’il avait fait le voyage jusqu’à Tokushima, jusqu’à mon logis, pour m’entretenir du Japon " (Rire et pleurer)
Il adopte le même ton de conteur pour évoquer dans ce recueil la vie de la rue à Tokushima, les traditions, l’histoire. S'adressant directement au lecteur, s'égarant malicieusement en digressions évoquant ses propres déambulations dans le Tokushima populaire, il raconte avec précision, humour mais toujours sympathie les lieux et les gens, leur gaieté et la simplicité de leur existence, leur façon de vivre avec les saisons, leurs liens à la religion et à la mort.

Cependant, là où Hearn s'efface devant son sujet (du moins dans les ouvrages que j'ai lus), l’élément autobiographique est toujours présent chez Moraes. A Tokushima, il vit à la japonaise, mais dans un grand dénuement. Vieillard solitaire et un peu dépenaillé, il est devenu un personnage de la ville, le ketô jin (barbu sauvage), moqué par les enfants et méprisé par les adultes. De même qu'il croque le portrait de la nonne bouddhiste, des joyeux passagers du train, de la redoutable belle-mère japonaise, des amants suicidés, de la masseuse aveugle, il se met lui aussi en scène dans ses récits pour décrire son quotidien de quasi ermite. Dans Le panier aux ordures du cimetière de Chiyo On-Ji, il use même d'une troisième personne chargée d'auto-dérision, s'imaginant se rencontrer lui-même lors de ses errances au cimetière.

C'est dans cette évocation de sa solitude, des bienfaits qu'elle lui apporte ("chez l’homme solitaire, l’amour de la création est plus intense"), de sa vie contemplative, de son intérêt pour les moindres détails de son environnement, hommes, bêtes ou plantes, de sa compassion, que Moraes se montre le plus attachant, et le plus proche de la sensibilité japonaise et de la philosophie bouddhiste. On pense aussi à la religion shintô quand il sent émaner des objets « de subtiles exhalaisons d’un je ne sais quoi que j’appellerais, faute de mieux, l’âme des choses. », et qu'il perçoit la visite discrète et secourable de ses femmes mortes (O-Yone et sa nièce Ko-Haru, avec laquelle il vivra brièvement) revenant sous la forme de lucioles pour éclairer sa serrure...
Et pourtant Moraes se réclame d'une autre religion :

Mais ce que je ressens dans mon âme, c'est beaucoup moins et beaucoup plus que le bouddhisme ne saurait m'apporter; c'est l'étrange floraison d'une orchidée hybride et exubérante, qui n'appartient qu'à moi, qui croit et s'épanouit dans un milieu favorisant son éclatante vigueur, dans la serre tiède de l'exotisme, de la solitude et de la saudade!...


La saudade, dont j'avais parlé dans le post sur Tabucchi, c'est ce terme portugais difficilement traduisible, qui évoque un sentiment à la fois doux et poignant de manque, de nostalgie. Par le culte qu'il voue à ses disparues, Moraes entretient cette mélancolie, il la consomme comme une drogue douce le conduisant petit à petit à la folie ... Il déplore sa situation mais il trouve réconfort et semble-t'il plaisir dans la souffrance qu'elle lui cause... J'ai peut-être un coeur de pierre, mais j'ai eu du mal à apprécier les passages, généralement en fin de chronique, où l'écriture de Moraes se voit "submergée" par la saudade, par des "flots de tristesse", et où elle perd en délicatesse pour verser dans une préciosité presque baudelairienne et un auto-attendrissement plutôt agaçant.
Le recueil se clôt toutefois avec le lucide L'étranger au Japon où il évoque le paradoxe d'être "fou d'amour" pour un pays qui lui refuse toute intégration, qui « finit par le plonger dans l’affliction sans jamais cesser pour autant de le fasciner »...
Wenceslau de Moraes est également connu pour Le Culte du Thé, un petit traité expliquant ce rituel aux Occidentaux, que je chroniquerai ici prochainement...

O-Yoné et Ko-Haru, récits, Wenceslau de Moraes, Phébus, 2005, 143 p.


prochaines critiques...: Harry Potter and the Half-Blood Prince, JK Rowling / La ville au crépuscule, Kazumi Yumoto.