jeudi, avril 12, 2007

L'Adversaire


C'est davantage pour l'écriture d'Emmanuel Carrère (appréciée dans sa biographie de Philip K.Dick) que pour l'affaire criminelle Jean-Claude Romand, que j'ai lu L'Adversaire.
Carrère y retrace le parcours du "bon docteur Romand", notable jurassien affable et discret, qui massacra femme, enfants et parents, après leur avoir menti pendant près de vingt ans.
Racontant cette "vie de solitude, d'imposture et d'absence", le romancier tente "d'imaginer ce qui tournait dans sa tête au long des heures vides, sans projet ni témoin, qu'il était supposé passer à son travail et passait en réalité sur des parkings d'autouroute ou dans les forêts du Jura".
Cette plongée dans un cerveau passablement malade, cette biographie à demi-fantasmée d'un mythomane , possède de nombreuses similitudes avec Je suis vivant et vous êtes morts, la bio de Dick.
A commencer par la façon dont Carrère met d'emblée sa vie en parallèle avec celle de son sujet d'étude et s'implique dans son histoire:

Le matin du samedi 9 janvier 1993, pendant que Jean-Claude Romand tuait sa femme et ses enfants, j'assistais avec les miens à une réunion pédagogique à l'école de Gabriel, notre fils aîné. Il avait cinq ans, l'âge d'Antoine Romand.


S'il assiste à son procès, en 1996, en tant que correspondant de presse, s'il entre en relation avec Romand, c'est d'abord pour tenter de "comprendre [...] une expérience humaine aussi extrême [qui] touche chacun d'entre nous". Cependant, lors de ces rencontres au parloir, il constate que Romand semble sortir d'une de ses oeuvres:

Je pensais à la Classe de neige , qu'il m'avait dit être le récit exact de son enfance. Je pensais au grand vide blanc qui s'était petit à petit creusé à l'intérieur de lui jusqu'à ce qu'il ne reste plus que cette apparence d'homme en noir, ce gouffre d'où s'échappait [un] courant d'air glacial .


Plus que l'expérience humaine, c'est alors la nature fictionnelle de Romand qui semble s'imposer à l'auteur (et au lecteur), en occultant le reste, à savoir la réalité. Celle du "grand malade" mental souffrant de "narcissisme assassin", du meurtrier doublé d'un escroc minable. Cette réalité froide et nue que Romand (comme Philip K. Dick...) a toujours fuie et refusée, mentant constamment aux autres comme à lui-même. S'inventant des études de médecine brillantes, un poste prestigieux de chercheur à l'Inserm et à l'OMS, des connaissances, des voyages, des relations...
Intrigué, troublé (et flatté?) par la "parenté" de Romand avec son livre, Carrère le transforme en héros de papier, en être de mots. Il avait fait aussi cela (et de façon très réussie) au sujet de Philip K.Dick.
Il répond ainsi aux attentes d'un homme avide de fiction qui, enfant solitaire, ne s'est construit que dans la lecture. Carrère ne se rend compte qu' "avec le recul" qu'il a vu Jean-Claude Romand:

non comme quelqu'un qui a fait quelque chose d'épouvantable mais comme quelqu'un à qui quelque chose d'épouvantable est arrivé, le jouet infortuné de forces démoniaques.

Il y a aussi dans L'Adversaire un arrière-plan religieux très présent auquel je ne m'attendais pas... Quand j'ai vu son adaptation au cinéma (par Nicole Garcia en 2002), j'ai pensé que son titre faisait allusion au dédoublement de personnalité. Mais ce n'est pas (que) cela...
Lorsque Romand exécute ses vieux parents à la carabine, Carrère imagine que ceux-ci ont vu:

prenant les traits de leur fils bien-aimé, celui que la Bible appelle le satan, c'est-à-dire l'Adversaire.


L'"adversaire" c'est bien sûr Satan, le "père des mensonges", celui qui égare et corrompt l'homme en l'éloignant du bien: la réalité. Romand est donc dès les premières pages présenté sous son emprise. Et son histoire dépasse alors la tragique mais banale expérience humaine, le crime crapuleux, pour illustrer de façon (assez lourdement) allégorique le "triomphe du mensonge et du mal".
La foi catholique est ainsi souvent évoquée: celle de l'auteur lui-même, de Romand, de sa famille, ses amis, ses visiteurs de prison. Mais à propos de l'intense activité religieuse de Romand en prison, Carrère s'interroge. Les prières, le repentir larmoyant, les mortifications, ne sont-elles pas une énième façon pour Romand de fuir la réalité, de repousser le face-à-face avec lui-même, une énième manifestation "d'aveuglement, de détresse et de lâcheté" ? Pour Romand comme pour Philip K. Dick, l'expérience mystique n'est-elle pas plus destructrice que salvatrice, un avatar de leur maladie mentale ?
Carrère finit par qualifier d' "indécidable" le cas Romand. Face à un être aussi fuyant et incapable de sincérité, toute tentative d'explication est vouée à l'échec. On peut tout de même penser qu'avec ce livre , l'auteur a tout de même "décidé", faisant de Romand le héros d'une oeuvre imprimée et le déréalisant encore un peu plus...
L'Adversaire se lit donc comme un roman, et un roman réussi, ce qui est la plupart du temps appréciable pour une biographie, mais ici, cela cause un certain malaise...
J'ai récemment vu sur F2 l'émission Faites entrer l'accusé consacré à l'affaire Romand. Un des intervenants,un des psychiatres l'ayant examiné, y affirmait que les oeuvres écrites à son sujet, sa célébrité, ne contribueraient probablement pas à la guérison mentale du "bon docteur Romand"...


L'Adversaire, Emmanuel Carrère, 2000, folio, 2006, 220p.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonjour
j aurais voulu savoir une chose svp
le prologue est avant la page 11 la ou il est raconté la journé du 9janvier 1993 ?

en esperant avoir une reponse merci