vendredi, juin 23, 2006

La Fin de l'été

Ce court roman de Setouchi Jakuchô ne me laissera pas un souvenir impérissable. Non pas parce qu'il est bien sage pour un ouvrage qui a fait scandale (sa publication valut à son auteur la réputation de "romancière pornographe"). Car replaçons les choses dans leur contexte... En 1963, au Japon, les moeurs plutôt libres et le mode de vie du personnage central, Tomoko ont en effet de quoi choquer. Indépendante financièrement, divorcée, cette femme de 38 ans navigue entre deux hommes. Shingo, un quinquagénaire,dont elle est la maîtresse officielle depuis 8 ans, et Ryota, plus jeune qu'elle, qui fut son amant autrefois et pour qui elle quitta son mari. Vous suivez?
Ce qui est profondément ennuyeux dans La Fin de l'été, ce n'est pas l'absence de scènes torrides mais le manque de charisme des personnages et le peu de crédibilité des sentiments qu'ils éprouvent. Ce qui est embêtant, pour un roman psychologique...
On n'arrive pas à s'intéresser, à défaut de les comprendre, aux "mouvements chaotiques du coeur de Tomoko" (dixit la 4e de couv), femme passionnée et sensuelle, dont ledit coeur balance entre deux hommes aussi antipathiques l'un que l'autre. Ses scènes, ses cris, atermoiements et revirements (je pars? je reste?) se brisent sur eux comme sur une muraille molle. Et tout au plus éprouve t'on une vague compassion pour cette pauvre Tomoko, enlisée dans une telle situation...
Ce n'est pas "tempête sous un crâne" mais tempête dans un verre d'eau tiède (du robinet).
Comme Setouchi n'est pas Tanizaki, rien de troublant ou d'ambigu dans l'étude de ces triangles amoureux (Tomoko et ses deux amants, Shingo et ses deux femmes) . Au lieu de cela, l' analyse psychologique est alourdie de commentaires inutiles ( "Elle aimait encore Shingo. et son comportement la désespérait, incapable qu'elle aurait été d'en apporter la moindre justification aux deux hommes. Elle pouvait perdre Ryota mais une vie sans Shingo lui était inimaginable") et d'une redondance systématique.
Comme si le lecteur au cuir épais (et donc insensible aux mouvements chaotiques du coeur) n'avait pas bien tout compris, et que l'auteur se croyait obligée de résumer clairement la situation toutes les 2 pages.
Amateur de style elliptique, passe ton chemin.

Cela dit, le nom "Setouchi Jakuchô" me disait quelque chose et j'ai fini par me souvenir qu'elle apparaissait dans l'émission Carnet Nomade consacrée à Kyôto il y a 2 ans. Dans ce "Kyôto, l'abécédaire" très réussi, Colette Fellous, accompagnée du romancier Hirano Keiichirô, allait rendre visite à Setouchi, retirée depuis 30 ans dans un monastère bouddhiste. Un autre intervenant, François Lachaux, directeur de l'Ecole française d'Extrême-orient, commentera cependant avec malice : "elle est devenue moine comme on pouvait entrer en retraite ou dans une abbaye dans les romans libertins du 18e siècle". Car notre nonne, qui a l'air fort sympathique, avoue boire beaucoup, sortir et apprécie la jeunesse (Hirano ne la laisse visiblement pas indifférente :p). J'ai fouillé dans mes K7 et réécouté son interview. En voici une partie:

Colette Fellous: Comment les voyez-vous aujourd'hui, tous ces romans que vous avez écrits, qui ont scandalisé à un moment... ces romans érotiques, on peut dire...?

Setouchi Jakuchô: Oui, c'est vrai, quand je relis mes oeuvres de jeunesse maintenant, je me dis que c'était finalement beaucoup de bruit pour pas grand-chose, et en particulier ma première oeuvre qui s'appelait Kashin. C'est un mot chinois qui signifie "utérus". Je l'ai utilisé pour ne pas utiliser directement le mot japonais. Mais en dépit de ce truc, les critiques ont été impitoyables. Il y a même un critique qui est allé jusqu'à compter le nombre de fois où le mot kashin apparaissait dans le livre et suite à ça il a écrit une critique des plus incendiaires. Et moi, bien entendu, j'ai été très touchée et ça m'a mis aussi en colère.

Hirano Keiichirô: Moi, j'aime beaucoup cette première oeuvre, Kashin, et il ne faut pas oublier qu'elle a été publiée à une époque où les gens étaient encore très conservateurs et on ne parlait pas encore des problèmes des femmes comme on en parle aujourd'hui. Donc à mon avis, Kashin est une oeuvre courageuse qui a abordé un thème de plein-pied et qui a provoqué un scandale. Mais je pense que c'est le rôle d'un écrivain que de parler des problèmes de la société. Et quoiqu'il en soit, cette oeuvre est devenue maintenant quasiment légendaire.

Setouchi Jakuchô: On parle de ma première oeuvre, mais la sienne, Takasegawa (1), à mon avis, c'est pire. Mais lui n'a pas été critiqué et il a même reçu le prix Akutagawa(2) à l'âge de 23 ans! Et à propos du prix Akutagawa, cette année il a été remis à deux jeunes filles qui ont respectivement 18 et 19 ans (3). Et leurs oeuvres sont très extrêmes, elles parlent de sexe de manière très très crue. et elles n'ont pas été critiquées, bien au contraire elles ont été même encensées. Quand je vois ça, eh bien, je me dis que les temps ont changé. (rires)

© Radio France

(1) La Rivière Takase, recueil de nouvelles de Hirano Keiichirô, 2003, encore inédit en France.
(2) le Goncourt japonais . Hirano l'a reçu en 1998 pour L'Eclipse.
(3) en 2003, Wataya Risa (Appel du pied) et Kanehara Hitomi
(Serpents et Piercings)

La Fin de l'été (natsu no owari), Setouchi Jakuchô, 1963, Picquier Poche, 2005, 180 p.


à suivre: L'Usage du Monde, Nicolas Bouvier.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour !

Je suis bien content de voir que je n'ai pas été le seul à ne pas accrocher à ce roman (ou cette longue nouvelle étirée à n'en plus finir). Un livre quelconque, de temps en temps, c'est quand même bien pratique pour apprécier ensuite à leur juste valeur les autres, les bons !

Par contre, je m'étonne un peu que le roman ait fait scandale... Kono Taeko, à la même dépoque déjà, écrivait bien "pire", je crois... Est-ce parce que le roman de Setouchi se présente comme "vrai", contrairement aux oeuvres de Kono ou Tanizaki ?

Et bravo pour le résultat de la pêche aux K7 !

Xavier

nezumi a dit…

Bonjour Xavier,

Je ne connaissais pas Kono Taeko, merci de me l'indiquer!
Oui, c'est sans doute le côté autobiographique qui a choqué, (Setouchi /Catherine Millet= même combat!).
En tout cas, ce n'est pas une quelconque revendication féministe, tout à fait absente du roman par contre, vous ne trouvez pas? La 4e de couv qui parle de "liberté de femme"...bof...Tomoko cherche plus à se libérer en tant qu'individu qu'en tant que femme de ces relations claustrophobiques.
Ce qui m'a fait sourire en écoutant l'interview (repêchée des abysses) de Setouchi, c'est son ton envieux et un tantinet amer (même si elle se la joue philosophe...) quand elle évoque le prix Akutagawa de Hirano et des 2 jeunettes, qui eux ont été consacrés pour leurs romans "scandaleux".

Anonyme a dit…

Rebonjour !

Concernant Kono Taeko : [mode publicité on] en fait j'en parle un peu sur mon petit site [mode publicité off, parce que la pub sur les sites des autres, ce n'est pas bien !] elle a écrit des textes qui seraient presque difficilement publiables actuellement (la Chasse à l'Enfant, par exemple, 1961), en tout cas c'est l'impression que cela m'a fait quand j'ai lu un de ses recueils. Dans le genre scandaleux, Setouchi est enfoncée !
Entre parenthèses, un écrivain considéré comme Endo Shusaku a dit beaucoup de bien de Kono.

Pour en revenir à Setouchi, c'est vrai que la "liberté de la femme", on ne voit pas trop ce qu'elle vient faire là (à part faire bien sur une quatrième de couv') : elle gagne sa vie comme une grande, Tomoko.
Sa liberté, ce serait de ne pas se complaire dans le sacrifice ; si elle porte des chaînes, c'est volontairement. C'est du masochisme, en fait, non ? A tout moment, elle peut plaquer ses deux bonshommes pathétiques. Entre le raté et la chiffe molle, franchement...

Donc, sa liberté, elle peut donc la prendre quand elle veut. C'est juste une névrosée, alors de là à extrapoler... Parce que justement, si on veut vraiment extrapoler son cas, cela voudrait dire que toutes les femmes sont des névrosées pathétiques, dépendantes de loques, et au bout du compte, le commentaire devient anti-féministe ! Eh oui, la quatrième de couverture participe d'un grand complot anti-féministe ! (je pousse un peu, je suis mûr pour écrire des quatrième de couvertures chez Picquier ^^).

C'est d'autant plus rigolo que Setouchi soit envieuse des deux jeunettes que "Appel du Pied" n'est pas spécialement scandaleux et ne casse pas trois pieds à un canard... Il est sympathique à lire comme un Nothomb des x dernières années.
Si son ambition se situe à ce niveau-là...

Xavier

nezumi a dit…

Bonsoir,

Vous êtes tout à fait le bienvenu pour faire de la pub pour votre site, du moment que vous ne faites pas du spam pour les phéromones humaines ^^ !
[mode admiratif on]D'autant plus que votre site fourmille d'idées de lecture et propose une liste impressionnante d'auteurs japonais [mode admiratif ,mais si mais si, off].
Au final, Tomoko est un personnage inintéressant au possible, qui ne méritait pas d'être étudié en long et en large pendant 200 pages et certainement pas tout ce foin à sa publication. D'ailleurs même Setouchi, avec une lucidité qui la rend assez sympathique, en convient sans broncher :P.
Ca ne donne pas envie de lire Kashin, en tout cas, son 1er bouquin que Hirano présente comme "légendaire". J'imagine déjà la 4e de couv de Piquier, des inepties du style "un voyage mouvementé au coeur de la matrice féminine " O_o .
Les 4e de couv font parfois rire ^^, mais cela dit, je les trouve de plus en plus malhonnêtes dans leur rivalité commerciale pour attirer le chaland. J'en ferai peut-être le sujet d'un post, avec top 5 des plus mensongères. D'abord!

Anonyme a dit…

Bonjour,

Merci pour le commentaire que j'espère pas trop contaminé par les quatrièmes de couverture de chez Picquier ! ^_^;

Concernant Setouchi, apparemment les Anglo-saxons et les Italiens ont droit à plus de traductions que nous... Je ne sais pas s'il faut s'en plaindre, vu qu'un de ses livres fait 528 pages !

Je ne pensais pas que les commentaires mensongers iraient jusqu'à contaminer la littérature japonaise publiée en France : vu le tirage, franchement... ou bien justement les éditeurs se battent-ils à grands coups de formules toutes faites pour rameuter les quelques lecteurs...
Je verrais bien, dans les transports ou dans les rues, de grandes affiches de Setouchi barrées par un immense "liberté pour les femmes". Ca serait rudement vendeur... Puis une adaptation glamour avec Isabelle Adjani : elle sait très bien pleurer devant la caméra (filmée par Anne Fontaine, quand même, pour rajouter une touche d'ambiguïté).

Xavier

nezumi a dit…

Damned ^^'!!! Démasquée par mon style hyperbolique! J'avoue, je rédige les 4e de couv chez Picquier (tout en les dégommant régulièrement dans mon blog pour détourner les soupçons). Ca permet d'arrondir les fins de mois et je suis même pas obligée de lire les livres avant ;-).
J'ai l'impression que comme le Japon est à la mode, de plus en plus de gens lisent de la littérature nipponne.Pour les appâter les éditeurs usent des mêmes ficelles que dans les trailers au cinéma...