mercredi, novembre 30, 2005

Au pays de Gísli ...

Il y a quelque temps, après avoir constaté que ma connaissance de la littérature nordique se limitait aux (excellentes) oeuvres de Selma Lagerlöf, j'ai fait un petit shopping dans ce sens: Sinisalo, Blixen et un peu de saga islandaise dans la collection folio à 2 €.
Je dis "un peu de", car je n'aurais pas poussé le vice jusqu'à m'attaquer à un volume entier.
Car pour moi, à priori, la saga, c'était un peu la version en prose d'un arbre généalogique. Une litanie de noms, un style sec émaillé d'innombrables répétitions, peu propre à stimuler notre imagination. En bref, une littérature ingrate à destination des historiens mais pas d'un lecteur lambda moderne. Donc commençons par un échantillon ... Eh bien, agréable surprise, ce fut une lecture brève mais captivante car très dépaysante!
Ce qui m'a le plus intéressée, ce n'est pas particulièrement "l'histoire de vaillance, d'amour et de mort dans le monde rude des fiers guerriers vikings" vantée par la 4e de couv avec des accents très hollywoodiens. Ce n'est pas non plus le personnage central, Gísli Súrsson, héros assez classique de la littérature épique, d'une force, d'une bravoure et d'une rectitude morale hors du commun. Quoique comme le souligne le traducteur Régis Boyer, ce soit un personnage romantique avant l'heure, persécuté par le destin, torturé par des rêves prémonitoires...
Cette histoire de vendetta, de beau-frère assassiné à venger, de poids de l'honneur et de la filiation, cette traque qui n'a que la mort comme issue, tout ça pourrait provenir des bords de ma Méditerranée natale ;-)... Pourquoi d'ailleurs les sociétés les plus soumises aux codes d'honneur sont-elles des sociétés insulaires ?
Non, ce qui m'a plu et vraiment dépaysée dans cette saga, c'est le décor, l'étrangeté de cette société islandaise du Xe siècle où la sauvagerie la plus élémentaire coexiste avec un protocole de politesse élaboré et une organisation politique et sociale étonnamment méticuleuse! On y a la hache et la lance facile et le bannissement (que Gísli subira) y équivaut à une mort lente, mais en même temps cette société comporte une forme primitive de sécurité sociale... Les femmes sont échangées lors des (re)mariages comme des marchandises, mais elles détiennent le pouvoir de divorcer à leur gré. L'esprit et la parole y sont utilisés comme des armes redoutables: on ridiculise son ennemi en exposant en place publique une statue le représentant dans une posture obscène et humiliante. Ou on lui adresse une vísa, pas un rectangle de plastique ^^ mais une déclaration en vers dans un style énigmatique, un avertissement que lui seul peut comprendre. J'ai découvert ainsi beaucoup de curieuses coutumes, et les notes de Régis Boyer étaient là pour éclaircir certains passages.
Bien sûr il est difficile au départ de s'y retrouver dans cette myriade de personnages portant souvent le même nom, entre tous ces Thorkell, Thorgrímr, Vesteinn, Audr ... Cela dit on y arrive assez bien au prix d'une petite gymnastique mentale. Au moins les auteurs de sagas ont ici fait dans la vraisemblance et le réalisme. Y a t'il des romanciers contemporains qui donneraient à plus de deux personnages le même prénom ?
Bien sûr le style peut sembler sec, mais il s'agit davantage d'une économie de moyens, d'une narration visant à mettre l'action en valeur, sans le souci de la littérature moderne de produire une "ambiance". Et étrangement, cette atmosphère s'installe d'elle même...On parvient à visualiser les lacs gelés où nos islandais jouent à une sorte de hockey; les maisons aux grandes pièces communes éclairées par quelques feux mourants, où un assassin armé d'une lance se faufile nuitamment; la neige qui tombe sans bruit sur les paysages minéraux et les rares forêts; la falaise désolée où Gísli livre son dernier combat, dans les cris des oiseaux de mer...
Ca m'a donné envie d'en savoir plus sur ce genre et peut-être de jeter un coup d'oeil plus tard à d'autres sagas, comme une des plus célèbres, celle de "Snorri le Godi".

Saga de Gísli Súrsson (Gísla Saga Súrssonar), traduit de l'islandais et annoté par Régis Boyer, Folio Gallimard, 2004, 137 p.

Quelques liens:
Présentation des sagas par le traducteur
Chant traditionnel Viking
Mon Viking préféré

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je crois qu'il y a au moins un romancier contemporain qui donne à plus de deux personnages le même prénom, c'est Gabriel Garcia Marquez, dans Cent Ans de Solitude.

Concernant le code de l'honneur, je n'avais jamais songé à son caractère insulaire ; il est poussé très loin dans Avril Brisé (d'Ismaïl Kadaré), qui se déroule dans les montagnes isolées d'Albanie : effectivement, ce très fort isolement peut être assimilé à un caractère insulaire, je suppose.

Quand on place le Danemark dans la littérature nordique, je pense toujours à un des très amusants Racontars Arctiques de Jorn Riel (qui se déroulent au Groënland) : un des personnages devant retourner au Danemark, ses compagnons trappeurs lui ont offert, comme cadeau de départ, un casque colonial en lui disant qu'il en aurait besoin, tellement il fait chaud là-bas (et puis, c'est bien connu, le Danemark, c'est la Méditerranée du nord)...

En tout cas, votre critique donne bien envie de lire ce petit livre !

nezumi a dit…

Exact, j'avais oublié le réalisme magique de Garcia Marquez, qui trangresse la convention littéraire du "1 personnage/1 prénom" pour notre plus grande confusion (et plaisir).

Comme vous le dites, ce doit être en partie l'isolement des sociétés insulaires, leur manque d'influences extérieures, leur repli sur elles-mêmes qui les rend prisonnières du code de l'honneur. Gisli semble d'ailleurs hésiter à accomplir la vengeance que la coutume islandaise lui impose, car après un voyage au Danemark, il a "chopé";-) la foi chrétienne, qui lui dicte plus de douceur envers son prochain...

Ou alors est-ce du, car souvent associé à une politesse excessive, à la nécessité de vivre en bonne intelligence sur un territoire restreint ?