mardi, juin 14, 2005

La Mer Regarde

Je ne connais pas très bien la filmographie de Kurosawa, car je pensais que Ame Agaru (Après la pluie) était son dernier scénario. Mais je viens de découvrir La Mer Regarde (Umi wa miteita),en DVD, apparemment le dernier film qu'il s'apprêtait à tourner,réalisé en 2002 par Kei Kumai . Il y a des similitudes d'ailleurs entre les deux, histoires de rêves déçus, de dévouement et de solidarité entre les humbles, jusqu'à la présence menaçante de l'eau et de la crue... Vous vous rappelez de la prostituée amère et soupçonneuse au kimono flamboyant apparaissant dans Ame Agaru, qui accuse les clients de l'auberge de lui voler son riz ? Eh bien on retrouve dans ce film l'univers des prostituées, (et non des geisha, comme le prétend commercialement la jaquette du dvd!) vivant dans un quartier de plaisirs au bord de la mer, a la même époque (mi 19e siècle). Le personnage central est la jeune et sentimentale O-Shin qui a le malheur de tomber régulièrement amoureuse de ses clients, surtout les malchanceux...Mais le film fait aussi la part belle aux autres pensionnaires et en brosse des portraits forts et complexes, évoquant la Rue de la Honte, de Mizoguchi (qui dépeint un bordel dans l'après-guerre). Des femmes au statut de parias qui font preuve de solidarité, de générosité et de courage, à l'inverse des hommes. Ceux-ci, qu'ils soient samourai ou mendiants, sont au mieux faibles, au pire profiteurs et violents. Kurosawa était féministe, affirme le réalisateur dans un documentaire en bonus. Malgré la noirceur de l'histoire, qui dépeint l'étanchéité entre les différentes castes du Japon d'Edo, le film se clôt sur une note optimiste, avec l'étonnante scène finale, très onirique, sur le toit du bordel, sous la voie lactée. L'image du film est très belle et les couleurs éclatantes et fraîches, un soin tout particulier ayant été apporté aux costumes, aux teintes, au étoffes, suivant les notes laissées par un Kurosawa que l'on apprend "fasciné par l'Edo élégant" dans le documentaire. Malgré le titre la mer n'apparaît pas avant les dernières scènes, le film s'apparentant presque à un huis-clos, reflétant l'enfermement des pensionnaires. Il faut que la mer s'emporte et dévaste tout pour que cet univers éclate enfin .Comme le remarque une des pensionnaires du bordel, "umi wa miteita" (= la mer se tenait là à regarder), présence muette assistant aux turpitudes, aux rêves brisés et au crime, pour venir tout laver et rendre possible un nouveau départ. Les acteurs sont remarquables: O-Shin avec son visage enfantin et lunaire est très touchante. Kikuno, prostituée plus âgée, (Misa Shimizu) est impressionnante de finesse et de détermination. Seul petit bémol: l'incongruité de la musique par moments, un solo de trompette évoquant à s'y méprendre le deguello, la complainte funèbre entonnée par l'armée mexicaine dans Alamo!

1 commentaire:

Le mouton vagabond a dit…

Bonjour, je viens de voir ce film. Je trouve que vous en avez fait une description très objective :-) Les relations clients-prostituées me paraissent un peu idéalisé mais il me semble que c'est un conte et non une peinture naturaliste. La scène finale est effectivement très belle et symboliquement forte.