
Ce qui est profondément ennuyeux dans La Fin de l'été, ce n'est pas l'absence de scènes torrides mais le manque de charisme des personnages et le peu de crédibilité des sentiments qu'ils éprouvent. Ce qui est embêtant, pour un roman psychologique...
On n'arrive pas à s'intéresser, à défaut de les comprendre, aux "mouvements chaotiques du coeur de Tomoko" (dixit la 4e de couv), femme passionnée et sensuelle, dont ledit coeur balance entre deux hommes aussi antipathiques l'un que l'autre. Ses scènes, ses cris, atermoiements et revirements (je pars? je reste?) se brisent sur eux comme sur une muraille molle. Et tout au plus éprouve t'on une vague compassion pour cette pauvre Tomoko, enlisée dans une telle situation...
Ce n'est pas "tempête sous un crâne" mais tempête dans un verre d'eau tiède (du robinet).
Comme Setouchi n'est pas Tanizaki, rien de troublant ou d'ambigu dans l'étude de ces triangles amoureux (Tomoko et ses deux amants, Shingo et ses deux femmes) . Au lieu de cela, l' analyse psychologique est alourdie de commentaires inutiles ( "Elle aimait encore Shingo. et son comportement la désespérait, incapable qu'elle aurait été d'en apporter la moindre justification aux deux hommes. Elle pouvait perdre Ryota mais une vie sans Shingo lui était inimaginable") et d'une redondance systématique.
Comme si le lecteur au cuir épais (et donc insensible aux mouvements chaotiques du coeur) n'avait pas bien tout compris, et que l'auteur se croyait obligée de résumer clairement la situation toutes les 2 pages.
Amateur de style elliptique, passe ton chemin.
Cela dit, le nom "Setouchi Jakuchô" me disait quelque chose et j'ai fini par me souvenir qu'elle apparaissait dans l'émission Carnet Nomade consacrée à Kyôto il y a 2 ans. Dans ce "Kyôto, l'abécédaire" très réussi, Colette Fellous, accompagnée du romancier Hirano Keiichirô, allait rendre visite à Setouchi, retirée depuis 30 ans dans un monastère bouddhiste. Un autre intervenant, François Lachaux, directeur de l'Ecole française d'Extrême-orient, commentera cependant avec malice : "elle est devenue moine comme on pouvait entrer en retraite ou dans une abbaye dans les romans libertins du 18e siècle". Car notre nonne, qui a l'air fort sympathique, avoue boire beaucoup, sortir et apprécie la jeunesse (Hirano ne la laisse visiblement pas indifférente :p). J'ai fouillé dans mes K7 et réécouté son interview. En voici une partie:
Colette Fellous: Comment les voyez-vous aujourd'hui, tous ces romans que vous avez écrits, qui ont scandalisé à un moment... ces romans érotiques, on peut dire...?(1) La Rivière Takase, recueil de nouvelles de Hirano Keiichirô, 2003, encore inédit en France.
Setouchi Jakuchô: Oui, c'est vrai, quand je relis mes oeuvres de jeunesse maintenant, je me dis que c'était finalement beaucoup de bruit pour pas grand-chose, et en particulier ma première oeuvre qui s'appelait Kashin. C'est un mot chinois qui signifie "utérus". Je l'ai utilisé pour ne pas utiliser directement le mot japonais. Mais en dépit de ce truc, les critiques ont été impitoyables. Il y a même un critique qui est allé jusqu'à compter le nombre de fois où le mot kashin apparaissait dans le livre et suite à ça il a écrit une critique des plus incendiaires. Et moi, bien entendu, j'ai été très touchée et ça m'a mis aussi en colère.
Hirano Keiichirô: Moi, j'aime beaucoup cette première oeuvre, Kashin, et il ne faut pas oublier qu'elle a été publiée à une époque où les gens étaient encore très conservateurs et on ne parlait pas encore des problèmes des femmes comme on en parle aujourd'hui. Donc à mon avis, Kashin est une oeuvre courageuse qui a abordé un thème de plein-pied et qui a provoqué un scandale. Mais je pense que c'est le rôle d'un écrivain que de parler des problèmes de la société. Et quoiqu'il en soit, cette oeuvre est devenue maintenant quasiment légendaire.
Setouchi Jakuchô: On parle de ma première oeuvre, mais la sienne, Takasegawa (1), à mon avis, c'est pire. Mais lui n'a pas été critiqué et il a même reçu le prix Akutagawa(2) à l'âge de 23 ans! Et à propos du prix Akutagawa, cette année il a été remis à deux jeunes filles qui ont respectivement 18 et 19 ans (3). Et leurs oeuvres sont très extrêmes, elles parlent de sexe de manière très très crue. et elles n'ont pas été critiquées, bien au contraire elles ont été même encensées. Quand je vois ça, eh bien, je me dis que les temps ont changé. (rires)© Radio France
(2) le Goncourt japonais . Hirano l'a reçu en 1998 pour L'Eclipse.
(3) en 2003, Wataya Risa (Appel du pied) et Kanehara Hitomi (Serpents et Piercings)
La Fin de l'été (natsu no owari), Setouchi Jakuchô, 1963, Picquier Poche, 2005, 180 p.
à suivre: L'Usage du Monde, Nicolas Bouvier.