jeudi, octobre 06, 2005

House of the setting sun

Après Johanna Sinisalo et ses trolls parfumés au Axe Voodoo ^^, c'est à la Japonaise Kazumi Yumoto de nous proposer un roman teinté soleil couchant.
Le crépuscule semble régner en permanence sur K., une ville industrielle du Kyûshû, où vit Kazushi, le narrateur, alors âgé d'une dizaine d'années, seul avec sa mère Sachiko.


Des panneaux au design suranné accrochés comme des corsages aux murs de brique couverts de suie. Grand magasin provincial au plafond bas où le scintillement des tubes fluorescents et l'odeur des tissus vous piquaient les yeux. Mannequins passés de mode aux visages doux et ombreux. [...] Quand je raconte ces souvenirs, tout le monde est stupéfait: "Mais on était déjà dans les années soixante-dix, non?" Moi-même, je me demande parfois si ce n'étaient pas des rêves que je faisais au soleil couchant.
Bien sûr ce n'étaient pas des rêves. Ce passage couvert dont la gueule noire s'entrebâillait comme une caverne, avec en arrière-plan le soleil couchant d'un rouge inquiétant.[...] Cette sirène qui venait du port les matins d'hiver. Cette animation au moment du boom économique qui apparaît désormais comme une rumeur lointaine de flots. A K., tout était suranné, superflu et inerte.

La même lumière orangée baigne le petit appartement de Sachiko et Kazushi, où débarque soudainement "Tête-de-mule", le grand-père, mi-travailleur itinérant, mi-clochard, qui vient finir sa vie chez sa fille. "J'avais déjà aperçu des sortes de bandes-annonces de mon grand-père - jamais encore rencontré - sous un pont, dans un caniveau ou sur les marches de pierre humides d'un escalier menant à un sanctuaire désert" . Le petit garçon va profiter de cette rencontre tardive pour tenter de percer les secrets d'une famille désunie, et ceux de sa mère, aimante mais fantasque et mystérieuse.
Face à Tête-de-mule, constamment recroquevillé sur les tatamis dans un coin de la pièce, l'enfant questionne sans relâche, "accroupi comme pour observer des objets ayant échoué sur une plage". Les coquillages illustrant la couverture n'ont pas qu'une fonction décorative. Le vieil homme et sa fille Sachiko sont de même clos et mutiques, se dérobant, se laissant porter de ville en ville par les courants de la vie. Parfois la coquille s'entrouvre et une communication fragile s'établit, les zones d'ombre du passé s'éclairent brièvement, Kazushi entrevoit les épreuves endurées par son grand-père pendant la guerre, l'enfance de sa mère à Hokkaidô...La famille finit même par se réunir - de façon éphémère - pour un dernier festin autour des palourdes rouges ramassées par Tête-de-mule dans une ultime fugue.
Des coquillages figurant le repli des personnages sur leurs blessures, le crépuscule reflétant à la fois le déclin économique (une allusion au hi no maru, le soleil rouge emblème du Japon?) et la décrépitude physique de la vieillesse... Kazumi Yumoto fait grand usage de symboles, mais sans lourdeur. Cette correspondance, cette harmonie entre l'agonie de l'homme et celle de son environnement dote le roman, à l'intrigue assez mince, d' une atmosphère prégnante et originale, entre flou et crudité, angoisse et cette "douce chaleur qui n'apparaît que dans les états stagnants qui précèdent la ruine définitive".
Kazumi Yumoto écrit habituellement pour la jeunesse, et je projette de lire L'Automne de Chiaki, dont le thème semble plutôt voisin (un enfant confronté à la mort, une rencontre avec une vieille femme étrange). Chronique à venir donc...
Pour information, La Ville au Crépuscule, un beau roman intimiste donc, mais une expérience de lecture , vous l'aurez compris, légèrement déprimante, m'a fait m'interroger sur l'absence de textes japonais humoristiques ou simplement légers. Pas de tradition comique au Japon? Pas de traduction française car marché peu porteur? Ignorance de ma part? De ma plus belle voix patrickjuvettienne, j'ai donc ululé la question " Où est l'humouuuuur?" sur le forum littérature de Lejapon.org et plusieurs pistes de lecture m'ont été proposées, de Tanizaki à Tsutsui, à lire ici .


La Ville au Crépuscule (Nishibi no Machi), Kazumi Yumoto, Seuil, 2005, 124 p.


prochaines critiques...: 1969, Murakami Ryû / It's like this cat! , Emily Cheney Neville / La saga de Gisli Sursson.

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