
Je veux devenir moine zen! raconte l'étonnante histoire de Kimura Ryôta, un enfant de 9 ans décidant subitement, à la stupéfaction de sa famille, d'entrer dans les ordres. Mais ne vous attendez pas à un récit sur la façon dont un enfant si jeune, puis un adolescent instable, amateur de jeux vidéos et de rock, peut vivre l'éveil à la spiritualité et s'accoutumer à la vie monastique.
Car, comme l'indique davantage le titre japonais 長男の出家, Chônan no shukke ou "(Comment) mon fils aîné a quitté la maison pour se faire moine", le narrateur est en fait le père de Ryôta, et le vrai sujet du roman, les réactions de ses parents à sa décision et son départ. L'auteur, Miura Kiyohiro, a t'il réellement vécu cette situation, puisque le roman est présenté par l'éditeur comme largement autobiographique?
Bien que les motivations de Ryôta restent une énigme, Kimura père accueille d'abord son choix avec satisfaction. Resté sur le souvenir amer d'un séjour de 10 ans aux USA, synonyme de solitude et d'acculturation, il vit depuis son retour sa pratique du zen comme une quête identitaire, une redécouverte de ses racines japonaises. Et bien qu'il déclare "tomber des nues" en apprenant que Ryôta veut devenir moine, il a quand même pris l'habitude de l'emmener à des séances de zazen depuis son plus jeune âge! Transfert, vous avez dit?
Cependant pour "devenir moine zen", l'adolescent doit non seulement quitter sa famille pour vivre au temple voisin, mais également rompre tout lien avec elle, en commençant par changer de nom, pour recevoir celui de l'abbesse du temple qui l'accueille. Cette nonne à la forte personnalité veillera également avec vigilance à ce que les contacts avec ses parents soient réduits au minimum.
Lors de la cérémonie de la tonsure, qui voit Ryôta quitter le monde laïque , ses parents réalisent à quel point cette situation, en plus de la douleur de la séparation , va bouleverser leurs vies :
Le passage du collégien en uniforme et cheveux longs au garçon en vêtement blanc et crâne rasé est théâtral, comme au kabuki les changements de décor instantané. J'ai remarqué que ma femme avait les yeux rouges. Il m'est impossible de nier qu'en voyant mon fils ainsi vêtu de blanc, j'ai eu l'impression qu'il appartenait désormais à un autre monde, hors de notre portée. Cependant, la métamorphose était trop brutale, il me semblait que j'avais plongé dans l'irréel. Les liens entre nous étaient-ils véritablement rompus? Etaient-ils de si peu de poids? Suffisait-il de dire "Père, merci pour tout", "Mère, merci pour tout" pour que le passé soit effacé d'un trait? C'était quoi alors au juste les parents et les enfants ? Mais oui enfin, c'était quoi? Les liens qui unissent les parents et les enfants n'étaient-ils qu'une illusion? S'agissait-il d'une idée toute faite, forgée par l'habitude? Les gens se contentaient-ils donc de tenir le rôle qui de parents, qui d'enfants?
Kimura entame alors un questionnement sur sa paternité et sa pratique religieuse mêlées qui fait vaciller toutes ses certitudes : Parents et enfants peuvent-ils être "la même chose" alors que le zen enseigne la différence? Le sacerdoce n'est-il pas la preuve qu'un individu ne peut se réaliser pleinement qu'après avoir totalement coupé les ponts avec sa famille ? Les parents peuvent-ils donc être un obstacle à l'épanouissement d'un enfant? A quel point doivent-ils guider les choix de leurs enfants et influer sur leur vie ? La vocation de Ryôta est-elle vraiment spontanée ? Ne lui a t'elle pas été dictée par une abbesse agissant dans l'intérêt financier du temple ? Et lui-même, n'a t'il pas fait fausse route depuis le départ dans sa façon d'appréhender le zen? Quelle est la limite entre religion et endoctrinement?
Autant de koân, les maximes déstabilisantes et opaques (ex:Pouvez- vous vous souvenir quand vous n'étiez pas?) que soumet un maître zen à son disciple, pour l'amener à l'éveil par une réflexion s'écartant de la logique...
On peut lire ce roman comme la chronique d' un cheminement spirituel assez chaotique, faisant écho à celui vécu par Ryôta, en apparence plus serein. En ce qui me concerne, j'ai surtout vu dans ce récit une réflexion intéressante, souvent dérangeante, sur la nature du lien parent-enfant. Même si j'ai cherché en vain "l'allégresse et l'humour dévastateurs" annoncés par la 4e de couv ? Le ton oscille plutôt entre espoir et inquiétude, jusqu'à la dernière ligne, que j'ai trouvée particulièrement troublante, remettant en question toute sérénité péniblement acquise. A vous de vous faire une idée...
Je veux devenir moine zen! (Chônan no shukke), 1988. Miura Kiyohiro. Picquier Poche, 143 p.
PS: Ce roman semble être l'unique ouvrage de Miura Kiyohiro traduit en français. En voici d'autres en japonais sur Amazon.co.jp (via le traducteur Popjisyo).
prochaines critiques...: Jamais avant le coucher du soleil, Johanna Sinisalo /
O-Yoné et Ko-Haru, Wenceslau de Moraes.